En libraire, ici chez Barnes & Noble, « vu sur BookTok » est devenu un argument de vente (@photo Barnes & Noble Waterworks).
Qui a dit que les nouvelles générations ne lisaient plus ? Depuis quelques années, un phénomène nouveau réjouit éditeurs et libraires : l’essor, sur les réseaux sociaux, de communautés vouées au livre, qui révèlent une nouvelle approche de la littérature – avec un réel impact sur les ventes.
Les prémices du « social reading » remonteraient à une dizaine d’années déjà, mais le phénomène est devenu évident depuis 4 ou 5 ans – et il a certainement été dopé par les confinements liés à la crise sanitaire, en 2020-2021. Petit à petit, des communautés se sont agrégées sur les réseaux sociaux autour du livre, avec leurs influenceurs, leurs followers, leurs hashtags, jusqu’à devenir incontournables : au dernier comptage, les vues du hashtag #booktok approchaient la centaine de milliards.
En réalité, même si la lecture a enregistré un vrai recul au fil des dernières décennies, elle n’a jamais été abandonnée par les jeunes générations : l’intérêt pour le livre a simplement migré du monde physique, celui des bibliothèques et des librairies, vers la sphère digitale. On a d’abord vu apparaître des forums de lecteurs sur le web, puis des apps comme Bookship ou Goodreads, permettant de partager ses conseils de lecture. Désormais, les amateurs de livres se trouvent là où tout le monde se retrouve (surtout les générations Y et Z) : sur les réseaux sociaux.
« Vu sur BookTok »
Comme toute communauté, celle des lecteurs a ses influenceurs, qui partagent leurs recommandations sur les livres qu’ils ont lu, mais aussi sur leur librairie préférée ou sur le meilleur endroit, le plus beau parc ou le café le plus tranquille, pour s’absorber dans les délices de la lecture. Avec un réel impact pour les éditeurs et les libraires : selon une enquête menée récemment par la Publishers Association britannique auprès des 16-25 ans, près de la moitié des sondés se seraient déjà rendus en librairie pour trouver un livre repéré sur BookTok– et près de 70% reconnaissent que le réseau social les a encouragés à lire un livre auquel ils ne se seraient pas intéressés autrement. L’effet sur les ventes de certains titres est confirmé, surtout dans la sphère anglophone (« Les sept maris d’Evelyn Hugo », de Taylor Jenkins Reid, publié en 2017 mais relancé en 2022 grâce à BookTok).
Pas étonnant que les professionnels du livre s’intéressent au phénomène : éditeurs et libraires sont eux-mêmes de plus en plus présents sur ces plateformes, soit pour y apporter leurs propres propositions et se lier avec des lecteurs, soit pour observer et capter les tendances, soit encore pour repérer des influenceurs qui leur donneront accès à ce public tant convoité : celui des jeunes adultes. De plus en plus souvent, les éditeurs envoient leurs nouveautés à ces influenceurs, comme ils le font depuis longtemps pour les critiques de la presse littéraire – et ils recherchent parfois une collaboration plus approfondie.
YouTube, Instagram, TikTok et les autres
BookTube, Bookstagram et BookTok apparaissent aujourd’hui comme les principales plateformes de « social reading », avec leurs spécificités. Pionnier, BookTube reste une référence pour approfondir les analyses de livres ou les portraits des auteurs. Centré sur l’image, Bookstagram joue davantage sur l’atmosphère et la mise en scène du livre, mais cela permet de se constituer rapidement une liste de suggestions. Plus récent mais rapidement devenu viral, BookTok offre une approche plus variée, voire ludique avec ses célèbres challenges (« moi et mes livres », ou les « this or that » proposant de choisir entre tel ou tel titre). Bien sûr, des canaux dédiés aux livres sont également apparus sur d’autres réseaux, dont Twitter, Twitch, LinkedIn, Facebook, etc., tandis que les apps n’ont pas disparu : plutôt que de se fier à l’avis d’un seul influenceur, elles permettent de consulter rapidement de multiples critiques.
D’une plateforme à l’autre, ce sont souvent les mêmes influenceurs que l’on retrouve – et qui, d’ailleurs, sont le plus souvent des influenceuses. Dans le monde francophone, citons pour l’exemple Bulledop (qui est un peu partout et récemment sur Twitch), Marion Miralta sur TikTok, la Suissesse Margaud Liseuse sur YouTube (notamment), ou encore le Belge François Coune (Livraisondemots), surtout actif sur Instagram.
Tribus de lecteurs
Vous trouverez beaucoup d’autres comptes, parfois très pointus, selon le domaine qui vous intéresse. Les genres les plus populaires sont évidemment ceux liés à la jeunesse (fantastique, littérature « young adult », BD…), mais il y en a pour tous les goûts, y compris les classiques– avec le même phénomène de « tribu » typique des réseaux sociaux.
Le « social reading » représente une surtout une nouvelle façon d’aborder la littérature, moins conventionnelle, plus interactive – et moins attachée aux prix littéraires qu’aux recommandations d’une communauté.
Un nouveau souffle pour la lecture ?