Une presse à cylindre exposée dans la Galerie Henri Casterman, à Tournai. (@Photo Tatvam/Wikipedia)
Née à la Renaissance, l’imprimerie s’est très vite implantée dans nos pays, avec Anvers comme principal foyer. Développée par des entrepreneurs ancrés dans l’humanisme, elle va bientôt entrer dans l’ère industrielle.
Nous reprenons notre petite histoire belge de l’imprimerie là où nous l’avions laissée : au XVIIe siècle, sous le régime espagnol, où l’imprimerie reste une activité strictement contrôlée, soumise à la censure et conditionnée à l’octroi de privilèges.
Liège et Bouillon, foyers des Lumières
Dans ce paysage d’Ancien Régime, il faut distinguer deux territoires indépendants, qui échappent à l’autorité du roi d’Espagne (puis de l’archiduc d’Autriche) comme à celle du roi de France : la principauté de Liège et le duché de Bouillon. Soumis à des princes moins puissants, les imprimeurs-éditeurs y jouissent d’une plus grande liberté.
Au siècle des Lumières, ces deux territoires deviennent des foyers de diffusion des idées nouvelles, grâce notamment à… la contrefaçon. Les notions de propriété intellectuelle et de droit d’auteur sont encore très relatives ; les imprimeurs n’hésitent pas à se saisir de tout écrit qui leur semble bon pour le reproduire et le diffuser à leur profit, sans trop se soucier des auteurs. C’est ainsi que, dans les années 1740-1770, un imprimeur-éditeur liégeois, Jean-François Bassompierre, fait d’excellentes affaires en imprimant Voltaire et Diderot, contribuant par là à diffuser des ouvrages parfois interdits en France.
Pierre Rousseau et son « Journal encyclopédique ».
C’est aussi à Liège que trouve refuge en 1755 Pierre Rousseau (« le Rousseau toulousain »), éditeur d’un « Journal encyclopédique » pour qui l’air de Paris devenait malsain. En 1759 toutefois, il est contraint de fuir Liège, dont il évacue son matériel par barque, en pleine nuit. Avec son associé et beau-frère, Charles de Weissenbruch, il s’installe alors à Bouillon, où le duc est ouvert aux idées libérales. Leur imprimerie y prospérera, exploitant jusqu’à six presses.
Paradoxalement, c’est la Révolution française qui la mettra en difficulté : la liberté de la presse entraîne une multiplication des titres qui provoque la ruine du « Journal encyclopédique ». L’imprimerie quitte Bouillon pour Bruxelles, où les descendants de Weissenbruch poursuivront la tradition familiale jusqu’à la fermeture, en 2005.
La Belgique des faussaires
La contrefaçon que nous venons d’évoquer va faire la fortune des imprimeurs belges. Après la chute de Napoléon en 1814, dans le nouveau royaume des Pays-Bas, les imprimeurs restent libres de produire et distribuer tout ouvrage dont l’auteur ne réside pas sur le territoire national. La contrefaçon littéraire s’épanouit, principalement aux dépens de la littérature française, aidée en cela par la Restauration et le retour de la censure chez nos voisins.
Cette situation perdure après l’indépendance belge – même si nos imprimeurs perdent alors le marché néerlandais. Ce n’est évidemment pas du goût des imprimeurs et éditeurs français, qui tentent de l’empêcher. De leur côté, les auteurs belges se plaignent d’être étouffés par l’abondance de livres français piratés.
Finalement, en 1852, une convention est passée entre la France et la Belgique, qui met fin à la contrefaçon. Les imprimeurs belges se tournent alors vers les ouvrages du domaine public, notamment l’édition scolaire et religieuse, où ils parviennent à trouver de nouveaux débouchés.
Casterman et Dupuis, rois de la BD
Ce bref tour d’horizon ne serait pas complet sans évoquer une spécialité aussi belge que la bière ou le chocolat : la bande dessinée, et deux de ses imprimeur-éditeurs emblématiques, Casterman et Dupuis.
Anciens bâtiments des éditions Dupuis à Marcinelle. (@photo P. Dupuis)
La première de ces deux maisons a été fondée en 1803 à Tournai par Donat Casterman, dont les affaires ont très vite prospéré, grâce surtout à l’édition religieuse. Mais ce qui a fait la renommée de Casterman, c’est bien sûr son association avec la BD belge. Ce tournant est négocié par Louis Casterman, représentant de la 5e génération familiale. C’est lui qui décroche le contrat d’édition des albums de Tintin en 1932.
À l’époque, Hergé a déjà publié ses premiers albums (dont « Tintin en Amérique »), mais il végète au « Petit XXe ». Cela va changer avec les « Cigares du Pharaon » et surtout le « Lotus Bleu » : Casterman lui ouvre le marché français et la voie du succès. La maison tournaisienne va ensuite développer un vaste catalogue de bandes dessinées, publiant notamment Jacques Martin (Alix), Marcel Marlier (Martine), puis Tardi, Geluck, Bilal…
Passée par une faillite, l’imprimerie Casterman a été reprise par le groupe Em. de Jong. La maison d’édition, elle, fait désormais partie de Gallimard.
Tintin (@photo R. Parmiter, à gauche) et Spirou (@photo Hispalois/Wikipedia, à droite) ont chacun leur fresque à Bruxelles.
Autre figure de l’édition de BD en Belgique, Jean Dupuis s’est établi comme imprimeur à Marcinelle en 1898. À cette activité, il ajoute l’édition en 1922, publiant notamment un journal des programmes radiophoniques (« Le Moustique ») et un journal féminin (« Bonne Soirée »). Pour le marché néerlandophone, il crée « Humo ».
En 1938, il se lance dans les publications pour la jeunesse avec un magazine, dans l’idée de proposer une alternative aux « comics » américains, et il demande au dessinateur français Rob-Vel de lui créer un personnage : Spirou. C’est après-guerre que l’activité va connaître son plein essor. Comme Casterman, Dupuis va devenir une pépinière de la BD franco-belge, publiant des auteurs tels que Franquin (qui reprend Spirou et crée Gaston), Peyo (les Schtroumpfs), Morris (Lucky Luke), et tant d’autres…
L’imprimerie, cédée en 1990, a définitivement cessé ses activités en 2015. Quant à la maison d’édition, reprise par la CNP en 1985, elle appartient désormais au groupe Média Participations et reste une référence de la bande dessinée.
Quel sera le destin de l’imprimerie en Belgique au XXIe siècle ? Nous manquons sans doute de recul pour l’écrire. Mais on peut du moins constater que, malgré la révolution numérique, l’imprimé conserve sa place dans le vaste paysage médiatique. Notre blog en témoigne.