S’il est un produit graphique qui a fait la gloire de la Belgique, c’est bien la bande dessinée. Avec ses auteurs emblématiques, mais aussi ses éditeurs et ses imprimeurs, la Belgique s’est affirmée au 20e siècle comme l’un des pôles internationaux du 9e art. Aujourd’hui encore, la BD reste une spécialité nationale.
En Belgique, la bande dessinée, c’est plus qu’un produit culturel, plus qu’un genre littéraire : c’est un trésor national. Un patrimoine que l’on vénère, qui mérite ses plaques de rues et ses musées. À Bruxelles, certains rêvent même de faire inscrire la BD belge au patrimoine de l’humanité !
Il est vrai que la Belgique est une terre de BD incroyablement fertile, probablement la plus dense du monde en auteurs : Hergé, Peyo, Franquin ou Morris hier, Geluck, Schuiten ou Féroumont aujourd’hui, pour n’en citer que quelques-uns.
La BD, une invention suisse
Ce ne sont pourtant pas les Belges qui ont inventé la BD. Sans remonter à la colonne Trajane ou aux vitraux des cathédrales, les historiens s’accordent à situer ses racines dans l’œuvre d’un dessinateur genevois, Rodolphe Töppfler, auteur de récits en images légendées, dans les années 1830. Un genre nouveau qui allait rapidement faire des émules, dont en France Gustave Doré, puis Christophe (La Famille Fenouillard) ou Forton (Les Pieds Nickelés).
Mais c’est dans la presse des États-Unis que la bande dessinée connaîtra son véritable développement dans la deuxième moitié du 19e siècle, avec des auteurs tels que Richard Felton Outcault (The Yellow Kid) ou Rudolph Dirks (The Katzenjammer Kids), inventeurs des phylactères, ainsi que Winsor McCay, auteur de Little Nemo.
De Félicien Rops à Hergé
Et en Belgique ? La première BD parue dans notre pays est attestée dès 1843. Elle s’intitule Le Déluge à Bruxelles, mais son auteur est un émigré français, Richard de Querelles. Le premier dessinateur belge de BD est probablement… Félicien Rops qui, sous le pseudonyme de Cham-Loth, publie en 1853 Les Époux Van Blague dans la revue satirique Le Crocodile.
La bande dessinée reste cependant un genre mineur, à la diffusion confidentielle. Cela va changer avec les premières aventures de Tintin par Hergé, publiées à partir de 1929 dans Le Petit Vingtième. Très vite, Tintin paraîtra en albums et connaîtra un succès grandissant, y compris en France, grâce au soutien d’un imprimeur-éditeur tournaisien : la maison Casterman.
Tintin amorce l’essor de la BD belge. Il est suivi dès 1938 par Spirou, un personnage créé par le dessinateur français Rob-Vel pour l’hebdomadaire du même nom, lancé par Dupuis à Marcinelle.
Tintin, Spirou : atome et ligne claire
La Seconde Guerre mondiale va bouleverser ce paysage naissant – paradoxalement, elle va doper la production belge. Spirou, en grande partie alimenté par des adaptations de comics américains, se trouve coupé de ses sources. Pour remplir les pages, Dupuis s’en remet à des auteurs locaux, qui créent de nouveaux héros et de nouveaux récits. Rob-Vel étant prisonnier en Allemagne, le personnage de Spirou lui-même est repris par un jeune dessinateur namurois, Jijé.
Les années d’après-guerre sont celles d’un véritable boom. S’appuyant sur la popularité de Tintin, l’éditeur Raymond Leblanc lance en 1946 le Journal de Tintin, concurrent de Spirou. La BD belge va connaître ses « Trente Glorieuses », alimentées par la rivalité entre les deux revues. Chacune entretient une « écurie » d’auteurs maison, belges pour la plupart. Autour de Hergé, sous la bannière de Tintin, se réunissent E.P. Jacobs (Blake et Mortimer), Leloup (Yoko Tsuno), Bob de Moor (Cori le Moussaillon) ou encore Vandersteen (Bob et Bobette). Chez Dupuis, André Franquin succède à Jijé pour animer Spirou, avant de créer Gaston. Il est rejoint par Morris (Lucky Luke), Will (Tif et Tondu), Peyo (Les Schtroumpfs), Roba (Boule et Bill) …
Progressivement, chacun de ces deux groupes va développer un style propre. C’est l’origine des deux grandes « écoles » de la BD belge : la ligne claire dans Tintin et le style « atome » dans Spirou (on parle aussi « d’école de Marcinelle »).
De Bruxelles à Paris
La Belgique est alors le principal pôle de la bande dessinée francophone et l’un de ses pôle mondiaux – Hergé, Peyo et Morris obtiennent une reconnaissance internationale qui se refuse à Franquin. À partir de 1959, elle doit toutefois partager ce rôle avec la France, sous l’impulsion du magazine Pilote qui publie Astérix d’Uderzo et Goscinny.
Si la Belgique conserve pour un temps le leadership de la BD « jeunesse », ce sont les éditeurs et les auteurs français qui vont faire évoluer la BD désormais « franco-belge » vers de nouveaux horizons, plus adultes, plus réalistes ou satiriques. Dans les années 1970, cette tendance est portée par de nouveaux magazines tels que Métal Hurlant, Fluide Glacial ou L’Echo des Savanes.
Les genres évoluent, certes, mais le terreau belge semble toujours aussi fertile : au fil des décennies 1970 à 2000, les générations d’auteurs se succèdent. Dans le domaine « jeunesse », ce sont d’abord Lambil et Cauvin (Les Tuniques Bleues), Walthéry (Natacha), Wasterlain(Docteur Poche), Dany et Greg (Olivier Rameau), puis Geerts (Jojo), Midam (Kid Paddle), Godi et Zidrou (L’Élève Ducobu), Féroumont (Le Royaume), sans oublier Tome et Janry, repreneurs de Spirou. Dans un style plus adulte émergent Yslaire (Sambre), Comès (Silence), Hermann (Comanche), Frank Pé (Broussaille), Schuiten et Peeters (Les Cités obscures), Servais (Tendre Violette) ou le scénariste Jean Van Hamme (XIII) …
Pour les éditeurs belges, toutefois, l’âge d’or touche à sa fin : alors que le magazine Tintin a cessé de paraître en 1988, les deux principales maisons que sont Dupuis et Casterman passent sous contrôle français dans les années 2000. La capitale de la BD franco-belge, c’est désormais Paris.
Un pôle toujours important
Aujourd’hui, même si le marché de la BD se maintient – du moins, il résiste mieux que d’autres segments de l’édition – il faut admettre que la BD « classique » a perdu du terrain face à de nouveaux genres tels que le roman graphique ou le manga, où l’on ne rencontre guère d’auteurs belges.
La Belgique n’en reste pas moins un pôle important, avec ses écoles (Saint-Luc, l’ERG, les Beaux-Arts de Tournai…), ses musées (le Centre Belge de la Bande Dessinée, le musée Hergé…) et tout un réseau de compétences dont les imprimeurs font naturellement partie. Même si leur marché s’est consolidé, certains d’entre eux font toujours référence en production de BD, jusqu’au-delà de nos frontières.