Une petite histoire de l’imprimerie
Gutenberg et l’imprimerie, c’est un peu comme Christophe Colomb et l’Amérique: il n’a pas été le premier à la découvrir, mais c’est lui qui a franchi l’étape décisive – celle qui a changé l’histoire. Comment ont évolué les techniques d’impression qui, des origines à nos jours, ont accompagné la diffusion des idées? Petit voyage dans le temps…
Un atelier typographique japonais, dans une version fantaisiste par le peintre Kunisada. (@domaine public)
Où situer les origines de l’imprimerie? Les premiers documents imprimés apparaissent vers la fin du VIIe siècle en Chine. Ce sont des images et des textes bouddhiques reproduits par xylographie, une technique utilisant des planchettes de bois gravées et encrées.
Qu’a donc inventé Gutenberg?
L’inconvénient de la xylographie, c’est qu’une fois la planchette gravée, il est impossible de la modifier: pour changer de texte, il faut graver une autre planchette… C’est l’alchimiste Bi Sheng qui apporte la solution au début du XIe siècle avec les caractères mobiles. À l’origine, ce sont de petits blocs de terre cuite, assemblés à la cire pour constituer la « forme d’impression ». La technique sera plus tard améliorée par les Coréens, qui remplaceront la terre cuite par le bronze et inventeront les caractères métalliques, un bon demi-siècle avant Gutenberg !
Caractères mobiles coréens du XVe siècle. (@Photo Daderot/Wikipedia)
Mais alors, qu’a donc inventé Johannes Gutenberg? La presse à imprimer ! Alors que les imprimés asiatiques étaient réalisés par frottage (on applique la feuille sur les caractères encrés, et on frotte), Gutenberg est le premier à monter la forme d’impression sur une presse à bras, ce qui lui permet d’imprimer bien plus d’exemplaires, plus rapidement. Sa fameuse « Bible à 42 lignes », vers 1455, signe la naissance de l’impression typographique moderne. Bénéficiant d’innovations successives (dont la presse rotative, puis la composeuse permettant de « fondre » des lignes entières de caractères), elle restera la technique dominante jusqu’au 20e siècle.
De la typographie à l’offset
À partir des années 1960, la typographie sera pourtant supplantée par une technique nouvelle: l’offset lithographique. C’est la synthèse de plusieurs découvertes : la lithographie, la photo, le scannage et… l’offset (qui signifie « compensation » ou « décalage »). Le principe offset lui-même est simple: plutôt que d’imprimer « directement » de la forme d’impression sur le papier, on utilise un cylindre intermédiaire (le blanchet), qui assure le transfert de l’image avec un meilleur résultat. C’est l’imprimeur américain Ira Rubel qui a fait cette découverte en 1904 et qui l’a appliquée à un procédé existant: la lithographie.
Développée dans les années 1790 par Aloys Senefelder, la lithographie repose sur le principe d’incompatibilité entre la graisse et l’eau: le motif à imprimer est d’abord dessiné au crayon gras sur une pierre à grain fin, qui est ensuite rincée à l’eau, puis encrée. L’encre (qui est elle aussi un corps gras) est repoussée des parties humides mais adhère sur les traces de crayon. Il ne reste plus qu’à presser la pierre sur une feuille de papier pour reproduire le motif. Plus tard, la (lourde) pierre sera remplacée par une feuille de métal grainé : la plaque lithographique.
Une presse lithographique, lointaine ancêtre de l’offset, exposée au Musée Technique de Vienne. (@Photo Dr. Bernd Gross/Wikipedia)
Mais ce qui fera le véritable succès de l’offset, c’est sa convergence avec la photo, inventée par Niepce et Daguerre vers 1840. En appliquant sur la plaque lithographique une couche photosensible, puis en l’exposant à une image, il est désormais possible d’imprimer directement des images ou des textes scannés. L’offset bénéficiera elle aussi de multiples progrès, avec la mise au point de la quadrichromie dans les années 1950, puis du « computer-to-plate » au début des années 2000. Aujourd’hui, elle représente toujours la plus grande partie des volumes imprimés.
De l’offset à l’impression numérique
L’offset a toutefois été rejointe par une autre technique aux applications multiples: l’impression numérique. Ou plutôt, deux techniques, le jet d’encre et le toner.
La première, l’inkjet, est issue de multiples travaux, dont ceux du physicien Lord Kelvin, inventeur d’un « siphon à encre » en 1867. Aujourd’hui, il existe différentes variantes du jet d’encre: en continu, thermique (« bubblejet ») ou piézo-électrique (par déformation électrique de la tête d’impression) qui, toutes, permettent de projeter de l’encre « à la demande » sur le papier. C’est la technologie de la plupart des imprimantes à domicile – mais aussi de certaines imprimantes 3D.
Le Xerox 914, premier modèle commercial de copieur (@publicité d’époque).
La seconde, l’électrophotographie à toner, a été brevetée dans les années 1930 par Chester Carlson, puis commercialement développée dans les années 1950 par la société Xerox. Elle repose sur les propriétés électriques du toner (une poudre colorée), capable d’adhérer à une image électriquement chargée, que l’on transfère ensuite sur le papier. C’est la technologie des copieurs de bureau.
Ces deux techniques – inkjet et toner –, d’abord cantonnées au monde des bureaux, ont abouti dans les années 1990 à la mise au point de véritables machines de production graphique: les « presses numériques ». Ici, plus de forme d’impression. Plus de caractères mobiles, ni de plaque offset: la donnée numérique est directement transposée sur le papier, sans support physique intermédiaire. On peut donc imprimer un contenu différent sur chaque exemplaire.
Et demain ?
Benny Landa, lors de la présentation de sa « presse nanographique », en 2012 . (@Photo Wikipedia)
Dernière évolution en date: la « nanographie », lancée en 2012 par Benny Landa (un pionnier de l’impression numérique, qui n’a pas hésité à se costumer en Gutenberg lors de salons graphiques). À la base, la nanographie est une technologie inkjet, qui utilise une encre aux particules extrêmement fines, projetée sur une courroie de transfert, elle-même pressée contre le papier (c’est le principe de l’offset). Une dizaine d’années après son lancement, la nanographie reste une technologie de niche. Peut-elle s’imposer comme une technologie majeure au 21e siècle? La question reste ouverte.