Sur les murs des villes, au bord des routes, dans les gares et les aéroports, l’affiche se montre et nous parle. Média publicitaire, mais aussi culturel et politique, elle a accompagné toutes les évolutions de nos sociétés depuis plus de deux siècles. Support de communication et de créativité, elle a aussi exprimé les tendances artistiques de son temps – et continue à le faire. Regard panoramique.
Quoi de plus banal qu’une affiche ? Dès que l’on sort de chez soi, il est difficile de parcourir plus de quelques dizaines de mètres sans en croiser une. Quoi de plus évident, aussi ? Si l’on a une idée ou une information à partager, quoi de plus efficace que de l’étaler à la vue de tous, dans l’espace public, et de préférence dans un lieu de passage ?
Aux origines de l’affiche
L’idée n’est donc pas neuve. Les Grecs et les Romains l’avaient déjà eue pour diffuser les nouvelles, les actes officiels, ou même annoncer la tenue de jeux ou de spectacles. Les premiers les gravaient sur l’axone (une sorte de pilier de bois carré) ; les seconds les peignaient sur les « albums », des emplacements blanchis à cet effet, ou encore sur des tablettes de bois placardées aux murs.
Ces lointains ancêtres de l’affiche ne sont pas encore des mass media. D’une part, parce qu’il n’existe aucune technique de reproduction : chaque affichage nécessite un travail individuel. D’autre part, parce que peu de gens sont capables de lire.
Pendant de longs siècles, les communications publiques restent donc principalement assurées par des « crieurs ». Cela commence à changer à la Renaissance : l’invention de l’imprimerie typographique par Gutenberg, au milieu de XVe siècle, offre le moyen de produire aisément de nombreux exemplaires d’un même document. L’affiche prend progressivement de l’importance : règlements, décisions de justice, fêtes religieuses y sont portées à l’attention du public. Les commerçants commencent à l’utiliser pour annoncer l’arrivée de marchandises. Lors des guerres de religion du XVIe et du XVIIe siècle, et plus tard lors de la Révolution française, les « placards » deviennent même un instrument de propagande pour tous les camps.
Naissance de la publicité
C’est cependant la révolution industrielle qui, à partir du XIXe siècle, va donner à l’affiche son véritable essor. L’invention de la lithographie par Aloys Senefelder, en 1796, permet d’augmenter les tirages et de réduire les coûts. Trois décennies plus tard, les perfectionnements apportés par Godefroi Engelmann et Charles Hullmandel ouvriront même la voie à l’impression en couleurs. Au progrès technique s’ajoute le progrès social : l’instruction publique fait reculer l’analphabétisme ; l’audience de l’affiche s’élargit. Mais surtout, le progrès économique assigne à l’affiche un nouveau rôle : attirer l’attention sur les produits de consommation ou les divertissements, à des fins commerciales. C’est la naissance de la publicité !
L’affiche change d’aspect : pour faire passer leur message, les annonceurs comprennent qu’il faut privilégier l’impact. L’affiche doit d’abord capter le regard ; ensuite, être facile à comprendre. Les textes raccourcissent, les caractères s’agrandissent, le slogan apparaît. Et surtout, l’image s’impose. En un coup d’œil, elle permet de résumer une idée.
L’affiche sera dès lors un domaine d’expression – et un gagne-pain – pour les artistes, dessinateurs et peintres. De grands noms y exerceront leur talent, traduisant sur ce nouveau support les tendances esthétiques de leur temps.
De l’art à l’affiche
La Belle Époque, au tournant du XXe siècle, représente un premier âge d’or de l’affiche, qui correspond aussi au triomphe de l’Art nouveau. Parmi les affichistes de cette période figurent notamment, à Paris, Toulouse-Lautrec, ou à Vienne, Alphonse Mucha. En Belgique, on citera Privat-Livemont, Henri Cassiers ou Gisbert Combaz. La plupart signent leurs affiches. Ils sont seuls maîtres de leur sujet et décident du traitement à lui donner. Souvent, le produit n’y tient qu’un rôle secondaire, mis en valeur par un personnage, généralement féminin : buveuse de café ou d’absinthe, mangeuse de biscuits, baigneuse…
Entre les deux guerres, les marques gagnent en importance et le rapport s’inverse dans les représentations : c’est désormais le produit qui est mis à l’avant-plan. L’artiste perd un peu de sa primauté au profit de « conseillers » spécialisés qui deviendront bientôt les « publicitaires ». Quant au style, il évolue vers l’Art déco, avec des artistes tels que Cassandre en France, McKnight Kauffer en Grande-Bretagne ou le graphiste suisse Leo Marfurt, qui exerça également en Belgique.
L’affiche emprunte aussi aux courants d’avant-garde, parmi lesquels le futurisme, puis, avec un peu de retard, le surréalisme, qui exerceront une influence majeure sur la publicité. Le premier, associé à la vitesse et au mouvement, traduit parfaitement les mythes industriels de son époque. Le second, par son appel au rêve et à l’inconscient, est un médiateur idéal pour la publicité, qui cherche à interpeller l’imaginaire – il reste, aujourd’hui encore, une source d’inspiration pour les marques.
D’autres courants encore exerceront leur influence après la Seconde Guerre mondiale, dont le pop art et le post-modernisme. Les artistes, en revanche, sont moins visibles. Progressivement, ils cèdent la place aux agences, sauf à quelques exceptions près ou dans certains segments, dont la culture. Parmi les artistes belges d’après-guerre qui se sont exercé à l’affiche, on retiendra tout de même quelques grands noms, dont Jean-Michel Folon, Julian Key ou encore, dans un style qui emprunte à la bande dessinée, Ever Meulen.
De l’outil commercial à l’objet culturel
Après-guerre, le dessin et la peinture eux-mêmes reculent, au profit de la photo, du photomontage, et plus récemment de la création numérique. L’affiche adopte de nouveaux formats, toujours plus grands, s’augmente parfois d’installations en trois dimensions, conquiert de nouveaux espaces – et suscite parfois la polémique par son omniprésence.
Aujourd’hui, l’affiche reste l’un des médias favoris des annonceurs, pour son impact, sa visibilité et sa proximité. Outil commercial, inscrit dans le paysage urbain, elle est aussi devenue un objet culturel, qui trouve sa place dans les expos et les musées – et jusque dans la déco des hôtels, des restaurants ou des foyers. Que diriez-vous d’une belle affiche Art déco dans votre salon ?