Le musée Plantin-Moretus expose les deux plus anciennes presses connues au monde, datées de 1600 environ. (@Photo Wikipedia/domaine public) 

L’histoire des techniques et des industries, c’est aussi une histoire de la société humaine. C’est particulièrement vrai pour l’imprimerie, associée depuis ses débuts à la diffusion des idées. Comment est-elle apparue en Belgique et comment a-t-elle évolué ? On vous raconte la petite histoire belge de l’imprimerie et de ses acteurs.  

Tout d’abord, corrigeons le titre : l’imprimerie dans nos régions est bien plus ancienne que la Belgique elle-même, puisque ses origines remontent au XVe siècle. Nous sommes aux débuts de la Renaissance. Nos provinces sont alors bourguignonnes, mais déjà réunies sous une même autorité : celle de Philippe le Bon, dont le pouvoir s’étend sur la plus grande partie du Benelux actuel – outre la Bourgogne de ses aïeux. 

Dirk Martens, le pionnier

C’est sous son règne que naît à Alost Dirk Martens (ou Thierry Martens en français), identifié comme le premier imprimeur de Belgique. 

Statue de Dirk Martens sur la Grand-Place d’Alost. (@Photo Qwertzu111111/Wikipedia)

Appartenant à une famille de marchands, Dirk voyage. Curieux de tout, c’est probablement en Italie qu’il se familiarise avec une technique nouvelle : l’impression typographique. Et c’est probablement lui qui, de retour dans sa ville natale, introduit cette nouveauté dans nos régions, une vingtaine d’années à peine après son invention par Gutenberg. C’est en effet à cette époque que paraît, en 1473 à Alost, le premier livre imprimé dans les Pays-Bas méridionaux : un ouvrage religieux intitulé « Speculum conversionis peccatum ». Il ne porte pas de mention d’imprimeur, mais c’est bien à Dirk Martens, et son associé allemand Jean de Westphalie, que les historiens l’attribuent. 

Par la suite, Dirk Martens quittera Alost et ira poursuivre ses activités d’imprimeur à Anvers et à Louvain, où il produira bien d’autres travaux, parmi lesquels des œuvres d’humanistes, dont Erasme, mais aussi, en 1494, la lettre de Christophe Colomb relatant la découverte du Nouveau Monde. Et bien entendu, de nombreux ouvrages pieux qui constituent la majeure partie des productions de l’époque. Retiré à Alost, il y mourra à plus de 80 ans.

Plantin, le plus grand imprimeur de son temps      

Entretemps, l’art d’imprimer s’est répandu comme une traînée de poudre : Anvers, Bruges, Bruxelles, Gand, Louvain et bien d’autres villes comptent un ou plusieurs ateliers d’imprimerie. Ces imprimeurs sont aussi des éditeurs, qui traitent eux-mêmes avec les auteurs et financent leur production : les métiers ne sont pas encore distincts.

Portrait de Christophe Plantin, d’après Hendrick Goltzius.

C’est dans ce contexte qu’apparaît l’imprimeur sans doute le plus célèbre de nos régions : Christophe Plantin. Lui n’est cependant pas flamand : c’est un Français, originaire du pays de Tours, venu s’installer à Anvers, d’abord comme relieur, puis à partir de 1555 comme imprimeur. Philippe II règne alors sur les Pays-Bas, devenus espagnols. Anvers, qui connaît son « Siècle d’Or », en est le principal centre d’activité graphique – et Christophe Plantin va s’y imposer comme le plus grand imprimeur de son temps. 

En véritable entrepreneur, Plantin est le premier à donner à son atelier un caractère industriel. Au faîte de son activité, il exploitera jusqu’à 22 presses et occupera jusqu’à 80 ouvriers, imprimeurs, composeurs et correcteurs. 

Comme Dirk Martens, Plantin est un érudit et un humaniste. Il imprime les ouvrages de son ami Juste Lipse, mais aussi de nombreux travaux scientifiques, dont ceux du botaniste Dodoens ou du géographe Ortelius – sans compter un très grand nombre de travaux religieux. Son chef-d’œuvre sera la Bible polyglotte, en cinq langues et huit volumes, qui aura nécessité quatre ans de travail. 

Mais l’époque de Plantin est aussi une époque déchirée par les guerres de religion. Louvoyant entre protestants et catholiques, Plantin finit par perdre une partie de sa fortune dans les troubles, et s’exile un temps à Leiden. Rentré à Anvers, il remet ses affaires à son beau-fils Jan Moretus, auquel succéderont encore sept générations, jusqu’à l’arrêt des activités dans les années 1860. Au total, les Plantin-Moretus auront exploité l’affaire familiale pendant plus de trois siècles ! Leur atelier « Au Compas d’Or » est aujourd’hui un musée classé au patrimoine mondial de l’Unesco

Abraham Verhoeven, père de la presse écrite

C’est aussi à Anvers qu’est née la presse écrite. Même si on a coutume de faire remonter ses origines à la publication de la « Gazette », en 1631, par le journaliste français Théophraste Renaudot, force est de constater que celui-ci a été devance d’un quart de siècle par un imprimeur anversois. 

Héritier d’une famille de graveurs, marié à la fille d’un imprimeur, Abraham Verhoeven est tout naturellement entré dans le métier. En 1605, alors que la guerre fait rage entre la République des Provinces-Unies (actuels Pays-Bas) et les provinces espagnoles (la future Belgique), il obtient des archiducs Albert et Isabelle le privilège de publier les nouvelles de la guerre – et surtout les victoires. 

On ne peut cependant pas encore parler d’un véritable journal. Les nouvelles paraissent irrégulièrement, sous différents titres, et ne sont en général qu’une compilation d’informations trouvées ailleurs. Leur publication est en outre soumise à une censure préalable qui la ravale au rang de la propagande.  

Un exemple des nouvelles colportées par Verhoeven : la décapitation de van Oldenbarneveldt.

La « Trêve de Douze Ans », qui interrompt la guerre entre 1609 et 1621, tarit le filon des nouvelles militaires. Qu’à cela ne tienne, Abraham Verhoeven trouve à publier d’autres actualités qui excitent la curiosité publique, telle la décapitation en 1619 de Johan van Oldenbarneveldt, fondateur de la Compagnie des Indes orientales, illustrée par une gravure – le choc des photos, déjà ! 

À partir de 1620, c’est autre chose : la feuille de Verhoeven paraît régulièrement sous le titre de « Nieuwe Tijdinghen ». Il fait désormais appel à de vrais rédacteurs, y compris des correspondants étrangers. Toutefois, la fortune va se retourner : les « Nieuwe Tijdinghen » doivent faire face à une concurrence croissante ; ruiné, Verhoeven met fin à leur publication en 1634. Sa maison sera par la suite transformée en un « Musée du Journal », aujourd’hui fermé. 

La disparition de cette première gazette annonce en quelque sorte la fin d’une époque. Celle d’une imprimerie largement soumise au pouvoir et restée techniquement artisanale. Les siècles suivants seront ceux des libertés et de l’industrialisation. L’imprimerie va entrer dans une nouvelle ère.    

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