Donner aux idées une traduction visuelle : telle est la vaste tâche des graphistes. Elle va de la création d’un logo à la réalisation d’un site web ou d’une animation, en passant par tout l’éventail des travaux imprimés : affiches, brochures, emballages, habillage de véhicules… Comment travaillent les graphistes et quels sont leurs outils ? Tour d’horizon avec Sabine Perillo, Creative Director chez db Studio.
Tout le savoir-faire du graphiste consiste à exploiter les éléments à sa disposition, textes et images, pour les fusionner en un objet de communication visuelle efficace : une affiche qui captera l’attention, un magazine agréable à lire, une page web conviviale… Pour cela, il faut de la créativité et de l’imagination ; une bonne compréhension des publics visés et des tendances ; des connaissances variées dans différents domaines allant de la typographie à la photo… Et bien sûr, il faut disposer des bons outils et savoir s’en servir !
Depuis une quarantaine d’années déjà, ce travail s’est numérisé : les tables à dessin, crayons et pinceaux ont fait place à l’ordinateur et aux logiciels. Et depuis une vingtaine d’années, ce paysage est dominé par un acteur majeur : Adobe, inventeur du format PDF, avec sa Creative Suite. Celle-ci comprend une quinzaine de logiciels, dont le plus connu du grand public est sans doute Acrobat, très utilisé dans les échanges entre les graphistes et leurs clients. La version gratuite permet d’ouvrir et d’annoter les documents PDF ; la version payante permet d’y apporter des modifications.
Mais pour les graphistes, la Creative Suite, ce sont surtout trois autres logiciels : Photoshop, Illustrator et InDesign. « Photoshop s’utilise pour tout ce qui touche au traitement des photos, Illustrator pour la création de visuels et d’infographies, et InDesign pour la mise en page », explique Sabine Perillo. « Il y a d’autres outils sur le marché, mais rien d’aussi complet que la suite Adobe ; son avantage, c’est que les programmes ont été conçus pour fonctionner les uns avec les autres. »
Photoshop, transformateur d’images
Commençons par Photoshop : « Beaucoup d’autres logiciels permettent de recadrer des images, ajuster les lumières, la saturation, etc. Mais Photoshop offre des fonctionnalités beaucoup plus poussées, par exemple pour corriger les déformations de l’image, utiliser des calques, détourer des éléments (isoler un objet ou une personne, ndlr) ou encore réaliser des photomontages : si on veut combiner les éléments de deux photos prises dans des circonstances différentes, qui ne présentent pas la même exposition, pas les mêmes lumières, etc., cela demande beaucoup de corrections pour obtenir un résultat réaliste. On a besoin d’outils avancés. »
Photoshop permet aussi de peindre ou dessiner : un vaisseau spatial steampunk, un paysage heroicfantasy… « Mais pour ce genre de créations, les illustrateurs utilisent plutôt des logiciels de dessin comme Procreate, qui permet de dessiner sur une tablette avec un stylet, exactement comme sur du papier. »
Illustrator : la puissance vectorielle
Autre outil, autres fonctions : Illustrator est un programme de création graphique vectorielle. Qu’est-ce que cela signifie ? « Les images vectorielles sont constituées de points et de courbes définis mathématiquement ; cela signifie qu’on peut les agrandir à volonté sans aucune perte de qualité, au contraire des photos ou des images illustrées, composées de pixels en quantité finie : c’est la ‘définition’ ou la ‘résolution’ de l’image. À force de l’agrandir, les pixels grossissent jusqu’à devenir visibles ;l’image est ‘pixellisée’. Ce n’est jamais le cas d’une image vectorielle. »
Illustrator s’utilise surtout pour créer des « objets » graphiques tels que logos ou pictogrammes, ou pour élaborer des schémas et graphiques (par exemple à partir des données d’un tableur). Les typographes s’en servent pour créer des polices de caractères. Mais aussi, Illustrator permet de concevoir des infographies, associant des éléments visuels avec des chiffres ou du texte afin d’illustrer ou expliquer un contenu. Les infographies sont très utilisées dans la presse : la carte du Tour de France ou la « pyramide de l’alimentation » en sont des exemples.
InDesign : la table de montage
Troisième membre de notre triade, InDesign est le programme qui permet de transposer tous ces éléments visuels et de les « monter » avec des textes dans une maquette, pour aboutir à un produit fini – par exemple une affiche ou un magazine.
« InDesign permet non seulement d’organiser les éléments dans la page, mais aussi de définir des polices de caractères, créer des encadrés, vérifier les césures, etc. L’une des difficultés courantes, quand on travaille sur une page de magazine par exemple, c’est de faire concorder la longueur du texte avec l’espace disponible : c’est toujours trop long ou trop court. InDesign permet de ‘tricher’ en ajustant très finement certains paramètres tels que l’interlignage ou l’interlettrage ; c’est imperceptible, mais on peut y gagner une ou deux lignes. »
C’est aussi dans InDesign que le graphiste ajoute certaines indications techniques. Si le fichier est destiné à l’impression, il s’agit par exemple des traits de coupe et de pliage, des débords (pour les images « à bords perdus »), des repères couleur, etc.
En dehors de ces outils professionnels, de nombreux outils « grand public » ont aujourd’hui démocratisé la mise en page. « Pour M. Tout-le-monde, c’est génial », reprend Sabine. « Avec un outil comme Canva, par exemple, on peut réaliser assez facilement un beau document sur un PC familial. Le problème, c’est que le résultat ne remplit pas toujours les critères techniques professionnels, soit parce que le logiciel ne le permet pas, soit parce que l’utilisateur n’a pas les connaissances requises. Cela nous pose parfois des problèmes quand un client nous fournit son propre fichier, dépourvu par exemple de traits de coupe, ou dont les textes sont composés en quadri et non en noir 100%. Si le fichier est destiné à l’impression, cela posera problème. »
L’IA, outil disruptif
Dernière évolution en date : l’intégration de l’intelligence artificielle, notamment dans le traitement des photos.
« Il ne s’agit pas seulement de créer des images de toutes pièces », poursuit Sabine. « Imaginons par exemple la photo d’un paysage, qu’on voudrait utiliser en panoramique mais dont il manque une partie. L’IA permet de la ‘compléter’, en créant de l’image là où il n’y en a pas, avec un résultat réaliste. Même chose pour supprimer un objet de l’image : l’IA parvient à le faire très efficacement. C’est à la fois bluffant et un peu effrayant ; cela fera certainement évoluer notre métier. »